Un personnage philippin sacré: le Bulul

A quoi pense cet homme assis, les jambes pliées, les bras croisés posés sur ses genoux ? Serait-ce la version philippine de notre Penseur de Rodin ?

Une incarnation des croyances tribales

On doit cette statue, appelée « Bulul », aux tribus primitives Ifugao du nord de l’île de Luzon. Selon leurs croyances, un Bulul placé dans la grange à riz permet de garantir une abondante récolte de riz, et de la protéger. En effet, le riz représente tout pour ce peuple qui s’est installé dans les montagnes de Luzon il y a 2000 ans environ, créant avec beaucoup d’ingéniosité le célèbre écheveau des rizières en terrasses de Banaue. Le nom même du peuple Ifugao viendrait du mot « ipugo », qui signifie « mangeur de riz ». On comprend mieux encore la nécessité pour les Ifugao de tout mettre en oeuvre pour assurer la sécurité de leur récolte lorsque l’on sait que la variété de riz qu’ils cultivent, le Tinawon, est une variété à faible rendement.

Les Ifugao prêtent également au « rice god » (« dieu du riz ») des pouvoirs guérisseurs contre les maladies, qui selon eux sont causées par des esprits maléfiques résidant dans les arbres, les pierres ou les rivières.

Rituels autour du « dieu du riz »

C’est pourquoi, avant de créer un Bulul, on choisit soigneusement le bois dans lequel la statue va être sculptée, un bois de valeur comme le narra, le ipil-ipil ou encore le bois de santal. Lorsque la statue est achevée, un « mumbaki » (shaman) se livre à un rituel appelé « baki », au cours duquel il invoque des dieux et des esprits ancestraux afin de renforcer le pouvoir de la statue. On la baptise également avec le sang d’un cochon que l’on a sacrifié. Ce rituel sera reproduit à chaque cérémonie pour attirer les esprits et susciter leur bienveillance, couvrant au fil des ans la statue d’une patine épaisse, représentative de son pouvoir.

Le Bulul est toujours traité avec soin et déférence. Les Philippins pensent en effet qu’un manque de respect envers le dieu du riz peut déclencher des manifestations hostiles (maladie, épidémie) de la part des esprits qui l’habitent.

Malheureusement, au fil du temps, nombre de « Bululs » anciens ont disparu des Philippines. Les conquistadors espagnols en ont détruit beaucoup, et plus récemment l’engouement pour l’art primitif en a fait des objets de collection très convoités. Leur prix peut atteindre plusieurs milliers de dollars, ce qui finit par convaincre certaines familles dans le besoin de s’en séparer…

Alors si vous souhaitez ramener votre propre Bulul de votre séjour aux Philippines, tournez-vous plutôt vers les reproductions en bois de hêtre peint, façonnées avec soin par les sculpteurs locaux. Vous soutiendrez ainsi l’économie locale, tout en préservant le patrimoine culturel philippin !

Emmanuelle MORIN